« Salut, papa. C’est Mayenne. Tu sais, ton fils. J’voulais savoir comment tu allais, depuis Noël. Je pense que tu m’en veux certainement encore de ce qu’il s’est passé, et j’pourrais te dire que je suis désolé et m’excuser, mais ça serait de l’hypocrisie, et c’est pas notre truc, aux Castelli, hein ? Tout ce que je t’ai dis, ce jour-là, même si c’était pas dans les bonnes circonstances, j’les pensais. Ouais, même huit mois plus tard, j’reste convaincu que t’es qu’un connard égoïste qui pense qu’à sa gueule et qui se donne bonne conscience en filant à ses gosses six mille euros d’argent de poche par mois. Je crache pas dessus, pense pas ça, j’sais pas comment j’ferai pour m’éclater la gueule et me payer mes poses d’héro hebdomadaires. Tu vois à quoi tu m’sers ? Franchement ? T’arrive à te lever le matin, et bosser toute la journée en sachant que ton fils se détruit à petit feu et que ta fille se rend malade pour le sauver ? Si tu la vois, d’ailleurs, dis-lui d’arrêter. Je l’aime, tu sais, Mélaine. Plus que toi, plus que n’importe qui, c’est ma sœur, c’est celle qui a été là quand t’étais pas foutu de le faire. Mais faut qu’elle vive sa vie, et moi, elle m’écoutera pas. Peut-être que si tu bougeais ton cul, pour une fois, ça pourrait faire changer les choses. Enfin, je sais que ce message servira à rien et que tu l’entendras jamais. Ta salope de secrétaire va l’écouter en rigolant, connasse va, bonne qu’à te faire sauter par tes patrons. Bref. M’en veut pas d’être aussi dur, j’ai eu un bon modèle. » Il raccrocha le combiné, le cœur serré. Quel con. A chaque fois, il se promettait de se laisser mourir dans un coin, sans donner de nouvelles à ce mec qui n’en méritait aucune. A chaque fois, il finissait par se rendre dans cette cabine téléphone, toujours la même, et il l’appelait. Elle se trouvait près d’un parc, un parc minuscule dans lequel jouaient souvent des enfants. Dans lequel il avait joué, lui aussi, avec sa mère et sa sœur, avant. Il y avait une vidéo, une vidéo qu’il avait regardé plusieurs fois, et qui montrait ce parc. On y voyait deux enfants et leur maman rirent aux éclats, avec la voix du père en fond. Leur seul véritable souvenir familial. Il sortit de la cabine, et se mit à errer dans les rues parisiennes pendant plusieurs minutes. Ou plusieurs heures. Il ne voyait pas le temps passer, les nuages ne bougeaient pas, lui non plus, pas vraiment, mais il sentait que tout se bousculait dans sa tête. Il s’arrêta brusquement lorsqu’il sentit son iphone vibrer dans la poche de son jean. Il le sortit en soupirant, s’attendant au pire ; certainement une groupie dont le simple numéro s’afficherait. Il ne prenait jamais la peine de les enregistrer, ou alors il leur donnait des noms stupides, comme « un », « deux », « trois ». Le plus drôle était lorsqu’il recevait un message d’une d’entre elles en étant avec une autre ; alors elles demandaient : « Moi aussi je suis appelée comme ça dans ton répertoire ? » oui, connasse. Un léger sourire s’afficha sur le visage de Cyril quand il découvrit le doux prénom de Gaby-Lise. Il avait passé la soirée avec elle, hier, et encore celle d’avant. Elle voyait très bien que le jeune Castelli souffrait, mais ce n’était pas le genre à se lancer dans de longs monologues larmoyants pour le réconforter. Elle se contentait d’être là, avec une bouteille de vodka, ou alors, dans son lit ou dans ses bras, peu importe, tant qu’elle était là.

GABY-LISE à MAYENNE ;
« Les Delorme chez Clement Elysées, help ! »

Il eut envie d’éclater de rire en pleine rue mais se retint. A la place, il se contenta de héler un taxi et de grimper dedans aussi vite qu’il le put. Sans attendre, il indiqua la route au chauffeur, lui demandant même d’accélérer par moment. Sa montre indiquait midi trente ; Cyril ne s’était pas rendu compte qu’il était déjà si tard. Il s’était levé à cinq heures, ce matin. Cassandra n’avait pas dormi chez eux. Il avait pris un café, versé directement de la machine qui leur avait coûté les yeux de la tête et qui était absolument dégueulasse, puis une douche rapide avant de partir. Sur son iphone, il avait trouvé quelques photos compromettantes de la veille. Gaby et lui étaient sortis à une soirée plutôt arrosée, et comme d’habitude, ça c’était mal fini. Du moins, si on pouvait dire ça comme ça. Il sortit du taxi en lançant un pourboire généreux, et sans prendre la peine de saluer le chauffeur qui le remerciait, il s’engouffra dans le restaurant.

Soyons clairs : chez Clement Elysées, situé dans le huitième arrondissement, était l’un des restaurants les plus huppés de Paris, et surtout des plus chers. Impossible d’y entrer sans être bourré de tunes, et impeccablement habillé. Cyril, avec sa chemise à moitié ouverte et son jean qui descendait en dessous de ses fesses, n’était pas le bienvenu. Et pourtant, il passa les vigiles sans même être arrêté, les serveuses ne le regardèrent même pas. Son enfance, il lui semblait l’avoir passée dans ce restaurant. Son père les y emmenait souvent, sa sœur et lui, à quelconques occasions. Encore une manière de se donner bonne conscience. Il chercha Gaby-Lise du regard, avant de recevoir sur son téléphone : « table 150 » Il fila entre les rangées, bouscula plusieurs clients sans même s’excuser, et se précipita un peu plus en reconnaissant la tignasse brune de sa copine préférée. Lançant un sourire à cette dernière, il s’installa à la table. Les parents Delorme le regardèrent, stupéfaits, un vague sourire crispé accroché à leurs lèvres. Cyril le leur rendit le plus naturellement du monde, saisit la carte et commanda du homard. « J’ai toujours trouvé ce restaurant horrible. La bouffe est dégueulasse et les serveuses sont vraiment pas terribles. »