Café de Flore, Vendredi 12 Août, 9h30.

Il faisait beau aujourd'hui. Il faisait beau et cela changeait des jours qui venaient de s'écouler. Pour tout dire, la semaine fut plutôt maussade et grisâtre à Paris, une chose qui avait fichu un sacré coup de cafard à Mélaine. Elle est comme ça Mélaine, elle respire le bonheur lorsque le soleil illumine la ville, et elle devient morose dès que le moindre nuage pointe à l'horizon. Est-elle pour autant lunatique ? Certains se plairaient à répondre que oui, d'autres penseraient qu'elle ne l'est pas. Est-ce vraiment ce qui importe ? Absolument pas.

La journée venait de commencer, et Mélaine s'était levée aux aurores. C'est une chose qui ne lui arrive pas tous les jours, surtout quand on sait qu'elle ne commence les cours que le vendredi après-midi. Mélaine aurait donc pu, en toute logique, trainailler au lit jusqu'en fin de matinée, pour profiter ne serait-ce qu'un peu de sa demi journée de libre. Mais cette demi journée, Mélaine voulait la passer à bien d'autres choses qu'à rester couchée en regardant niaisement le plafond. Alors elle se leva, et du bon pied ce matin. Après s'être préparée, et sans avoir mangé quoi que ce soit, Mélaine sortit de chez elle et prit un trajet qu'elle connaissait par cœur. Ce trajet la mènerait jusque dans le 6ème arrondissement de la capitale, un coin pourtant assez éloigné du quartier où elle vit. Mais cela n'avait pas d'importance car Mélaine était largement prête à traverser plusieurs pattés de maisons pour atterrir là où elle aimait se rendre certains matins. Ce lieu où elle aimait tant venir n'est autre que le Café de Flore, un charmant petit café loin d'être prétentieux et où l'on boit le meilleur café de toute la ville selon elle. Mélaine poussa la porte, salua le gérant comme elle en avait l'habitude à chacune de ses venues, et s'essaya à la table où elle avait pour coutume de siéger chaque fois qu'elle venait ici. Accrochant son sac à sa chaise et suspendant sa petite veste sur le porte manteau qui se trouvait juste derrière elle, Mélaine regarda sa montre. Car aujourd'hui, elle ne serait pas seule à prendre un café ici.

Ce matin, avant de quitter son appartement, Mélaine avait adressé un petit mot à sa colocataire, Lora, une charmante jeune femme qu'elle avait rencontré quelques semaines auparavant et avec laquelle elle commençait à développer une véritable complicité. Ayant observé sa colocataire plusieurs jours d'affilée, Mélaine avait pu remarquer que celle-ci se levait aux alentours de huit heures et demi tous les matins. Mélaine avait donc parfaitement synchronisé son départ de la maison avec le moment où Lora découvrirait le petit mot qu'elle lui avait gentiment laissé sur la table de la salle à manger. Ce petit mot indiquait : « J'espère que tu as bien dormi. J'aimerai que tu prennes ton café ailleurs ce matin. Rejoins moi au Café de Flore, dont tu trouveras l'adresse au bas de ce présent message. Je t'y attendrai. » Mélaine avait donc prémédité son coup : laisser un message à sa colocataire afin que celle-ci le trouve lorsqu'elle s'apprêterait à déjeuner, ce qui l'intriguerait forcément et la pousserait à se rendre à l'adresse indiquée en dessous du message.

Pourquoi Mélaine tenait-elle tant à déjeuner avec sa colocataire, et précisément dans ce lieu où elle s'était jusqu'à présent toujours rendue seule, jamais accompagnée de qui que ce soit, même pas de son fiancé ? Il faut croire que cela ne lui plaisait plus autant de boire son café, seule, ici. Mélaine avait semble-t-il envie de partager ce moment avec quelqu'un, quelqu'un qu'elle souhaite apprendre à connaitre dans un endroit qui lui est familier, quelqu'un comme Lora. Mélaine scrutait la porte. Elle savait que si sa colocataire empruntait le même chemin qu'elle, qu'elle marchait à la même vitesse et qu'elle ne se laissait pas distraire par quoi que ce soit qui pourrait la ralentir, alors elle arriverait aux environs de neuf heures trente-cinq, le trajet durant environ quarante cinq minutes à pied. Mélaine espérait que cela n'aura pas effrayé sa colocataire et que celle-ci n'aura pas renoncé à ce rendez-vous. Elle craignait que Lora ne la prenne pour une fille désespérément seule et à la recherche de compagnie. Certes, Mélaine recherchait un peu de compagnie dans un moment comme celui-ci, mais en quoi cela serait-il mal ? Lora aurait-elle une mauvaise opinion à son propos ? C'est ce que Mélaine redoutait le plus. Alors, Lora va-t-elle finalement passer la porte et faire l'immense joie à Mélaine d'avoir répondu présente à son rendez-vous ? C'est ce que Mélaine espérait par dessus tout.

On dirait que les rayons du soleil ont le don d'arriver au mauvais moment le matin. De quoi être réellement dérangé en pleins rêve, un beau rêve pour une fois. Celui qui vous fait oublier qu'il y a une vie réelle lorsque vous allez vous réveillez, le genre que vous aimeriez vivre, le genre que vous voudriez continuer mais dont il y a toujours quelqu'un pour le casser de toute façon. Et aujourd'hui il a fallu que ce soit le doux soleil qui se lève. Parfois une chambre qui donne sur le levant, ce n'est pas forcément très agréable, mais attendons l'hiver pour voir qui sera la plus heureuse de voir la lumière du matin.

Elle laissa sa main glisser sur le réveil afin d'éteindre la vieille musique que lui prodiguait son ipod. Même si c'était presque toujours la même qui la réveillait, elle ne se passait pas de l'écouter, certainement la nostalgie de ne pas être née plus tôt. Ses premiers réflexes étaient toujours les mêmes : tirer les draps du lit pour les mettre en ordre, tirer les rideaux et la fenêtre pour aérer et pousser les volets afin d'y laisser enter le soleil. A cette dernière étape, elle fronça des yeux, éblouie par la vivacité de la lumière. Et même si ça lui arrivait chaque matin, c'était toujours la même chose, elle se frottait les yeux, se promettant de ne pas regarder directement le soleil. Elle se faisait toute petite le matin, car sa colocataire -rencontrée quelques semaines auparavant- ne se levait pas avant elle et par respect, Lora ne faisait aucun bruit lui laissant continuer sa nuit. Sauf. Sauf ce matin, où la jeune fille s'étonna de la lumière trop importante dans l'appartement. Effectivement, tout était ouvert, laissant alors voir un ciel magnifiquement bleu, voire même presque sans ses nuages gris que les parisiens connaissent bien même s'ils ne les aiment pas. Elle a froncé les sourcils alors étonnée, et a remarqué après la chambre vide de Mélaine. Là, la jeune femme commença à paniquer. Ce n'était vraiment pas normal qu'elle ne la trouve pas ce matin. Alors qu'elle avait dégainé son cellulaire pour l'appeler, elle se rendit à la cuisine, prenant au passage le papier sur la table sans considération. Et alors qu'elle portait le téléphone à son oreille, elle raccrocha aussitôt, prenant en compte ce qu'il y avait marqué sur le post-it. Maintenant aucune raison de s'inquiéter. Elle était seulement partie à l’extérieur boire son café plus tôt que d'habitude, invitant par la même occasion la belle blonde à la rejoindre. Lora souffla alors un bon coup, avant de courir sous la douche et d'agrémenter une jupe avec un débardeur -elle espérait simplement que la chaleur arriverait comme le soleil-.

Un petit sac en bandoulière sur l'épaule et une légère veste sur son guidon, la jeune femme grimpa sur son vélo, et roula à travers les petites rues de Paris, se souciant si Mélaine était au café depuis longtemps en l'attendant. Elle s'arrêta plusieurs fois, regardant son gsm pour voir la route la plus courte, car elle ne connaissait pas par cœur le chemin pour n'avoir presque jamais été dans ce café. Voyant alors la pancarte, elle descendit de sa selle, accrochant un cadenas à son cadre de vélo. Cependant la jeune femme hésita à passer le seuil de la porte. Pourquoi tout à coup, les habitudes changeaient ? Pourquoi inconsciemment elle avait suivi le papier ? Certainement car elle commençait à apprendre à faire confiance en sa colocataire. Soufflant, elle poussa alors la porte vitrée, scrutant pour voir la place que Mélaine avait prise et s'avança de bon train. "Alors j'espère que je ne t'ai pas trop fait attendre." Elle avait un doux sourire aux lèvres et demanda rapidement à la serveuse de lui apporter un café bien fort et une brioche. Et elle se tourna alors vers la belle brune en face. "Je t'offre quelque chose ?"

Les minutes que venaient de passer Mélaine étaient remplies d'incertitude quant à la venue, ou non, de sa colocataire au rendez-vous qu'elle lui avait fixé le matin même. Mélaine décida donc, afin de faire passer le temps qu'elle avait devant elle en attendant l'éventuelle arrivée de Lora, de peser le pour et le contre des raisons qui feraient, ou non, que sa colocataire viendrait au rendez-vous. Parmi les raisons qui feraient que la jolie blonde allait probablement venir, il y avait celle-ci : la curiosité d'un rendez-vous fixé. En effet, lorsque quelqu'un vous donne rendez-vous précisément à une heure et à un lieu fixé, vous avez plutôt envie d'y aller afin de voir de quoi il retour. De plus, nouvelle raison qui ferait que la jeune femme serait tenter de se rendre au rendez-vous : le possible désir de connaitre d'avantage sa nouvelle colocataire. Car, si Mélaine désire absolument se familiariser avec Lora, il est probable que cela soit réciproque. Enfin, toujours comme raison qui ferait que Lora viendra peut être au rendez-vous fixé : l'envie de déjeuner ailleurs que dans un appartement. Il est vrai que leur appartement est loin d'être miteux, mais qu'il est toujours plaisant de déjeuner dans un café parisien réputé pour son excellent café.

Dans le palmarès des raisons qui feraient que la jeune femme hésitera probablement à venir au rendez-vous, il y a notamment celle-ci : la suspicion qu'elle peut avoir quant aux intentions de sa colocataire. Il est vrai que les intentions de Mélaine peuvent sembler louches à sa colocataire, qui pourrait penser qu'elle veut simplement la manipuler, s'en faire rapidement une amie, pour ensuite se débarrasser d'elle sans scrupule. Heureusement, cela n'est pas du tout du genre de la jeune femme, qui est toujours d'une grande sincérité, autant en amitié qu'en amour. Autre raison qui pourrait faire que la jeune femme renonce à se rendre au rendez-vous : la flemmardise, tout simplement. Car tout le monde n'a pas forcément envie de traverser plusieurs pattés de maison à neuf heures du matin, simplement pour un café et quelques croissants. Si la jeune femme se sent prise d'une flemme intense, elle n'aura probablement pas envie de sortir de l'appartement, ce que Mélaine pourrait tout à fait comprendre par ailleurs.

Au compteur de Mélaine, cela faisait trois raisons qui feraient que Lora allait se rendre au rendez-vous, contre deux raisons qui feraient qu'elle n'y viendrait pas. Donc, selon ses calculs, la jeune femme devrait normalement franchir la porte d'une minute à l'autre. Mais, imaginons que Mélaine ait surestimé la curiosité de la jeune femme, ou encore sa sympathie à son égard. Quoi qu'il en soit, Mélaine saura bientôt si ses calculs se révèleront exacts... ou non. Les minutes passèrent, et à chacune d'elle qui s'envolait, la perspective de voir arriver Lora diminuait. Mais, tandis que Mélaine perdrait espoir de voir Lora franchir la porte du café, elle fut surprise de voir arriver la jolie blonde, tout sourire. Celle-ci s'essaya rapidement. « Alors j'espère que je ne t'ai pas trop fait attendre » adressa-t-elle à Mélaine. Puis, Lora poursuivit : « Je t'offre quelque chose ? ».

Décidément, cette matinée apportait son lot de petites surprises. Tout d'abord, et contre toute attente, Lora était bel et bien venue au rendez-vous, ce qui ne manqua pas de faire plaisir à Mélaine. De plus, et alors qu'on pourrait penser qu'elle serait un minimum curieuse de savoir pourquoi elle avait été conviée ici, elle prenait tout de même le temps d'être polie, de proposer quelque chose à Mélaine. Tout en souriant à sa colocataire, Mélaine lui adressa : « Je te remercie, mais je ne vais pas en plus te dépouiller. Tu as déjà fais l'effort de venir, je t'en suis déjà très reconnaissante. » Mélaine se mit à rire puis commanda un simple café, elle qui n'avait jamais grand appétit au petit matin. « Tu as dû te demander pourquoi je t'avais confiée dans cet endroit ... surtout à une heure pareille. »