Ne pas se fier aux apparences, je pense que c’est la règle essentielle lorsque l’on habite à Paris et que comme moi on y est né. D’ailleurs, penchons-nous un peu plus en détail sur moi et ma vie, car après tout c’est bien tout ce qui importe n’est-ce pas. Chloé Maywenn Lou Delval. Si j’avais eu mon mot à dire sur mon nom…et bien je crois qu’en fait j’aurais tout gardé tel quel. Maywenn, c’est pour le côté Breton, car oui, sous cette crinière flamboyante se cache une fille dont une partie de la famille est anglo-bretonne. Pour le côté exotique on repassera mais enfin. Tandis que la plupart des enfants lambdas ont des parents eux aussi lambdas, du genre métro boulot dodo, et on élève les gosses du mieux qu’on peut avant de divorcer parce que de toute façon à Paris tout le monde divorce, moi je fais exception à la règle. Car j’ai été élevée par mes grands-parents, puisque je n’ai jamais eu la chance de connaître mon père et que ma mère a fait le choix de sa carrière plutôt que son enfant, en étant fonctionnaire dans diverses ambassades. Si elle, elle a fait le tour du monde, moi mes connaissances se limitent à la France. Mes grands-parents m’ont donc élevé depuis la naissance jusqu’à présent, m’ont inculqué des valeurs plutôt à l’ancienne, et j’ai passé toute ma vie dans un appart’ assez petit et pas franchement moderne à côté de Montparnasse, ce qui est plutôt un bon quartier en soi. J’aurais pu avoir la vie facile, vu l’argent de poche qu’est censée me donner ma mère mais il s’est avéré plus tard que l’argent dont je n’avais jamais vu la couleur avait tout simplement été refusé par ma grand-mère, une femme charmante mais très dure, pour qui les traditions et les valeurs de l’ancien temps sont encore un modèle à l’heure actuelle. J’ai donc eu une vie simple, sans vivre dans la richesse, ni la pauvreté, bonne élève, généralement appréciée des autres malgré le couvre-feu de 22 heures imposé par ma grand-mère jusqu’à mes 18 ans, car bien entendu il était hors de question qu’à mon âge, j’aille traîner dans les rues de Paris jusqu’à pas d’heures, quand un bon bouquin m’attendait chez moi – oui, pas de télé non plus, à l’ancienne on vous a dit. Finalement, ma mère a eu raison de ma grand-mère et cette dernière a autorisé qu’elle finance mes études à l’école Montaigne, dans le 8ème. Le repère des gosses de riche, un monde dont moi je ne faisais pas partie, ce qui m’a très vite fait comprendre qu’ici, tout repose sur l’apparence et ce qu’on laisse croire de soi.

A mes 18 ans, bac L en poche, il m’a fallu choisir quoi faire de mon avenir, et tout naturellement j’ai opté pour les lettres modernes à la Sorbonne. Je n’ai pas envie de m’attarder plus que cela sur mes études qui sont, nous en conviendrons, sans grande importance, si ce n’est que je suis toujours aussi sérieuse en cours, malgré quelques difficultés. Non, l’événement majeur de ces dernières années, ça a été la dispute que j’ai eu avec Adrienne, ma grand-mère, au sujet de mon père. Elle me l’avait toujours décrit comme quelqu’un d’imbu de lui-même, qui ne se souciait pas des autres et qui n’avait jamais voulu me reconnaître. Mais vous savez comment on peut être, à l’adolescence, on a toujours raison sur tout et lorsque je lui ai dit que je m’étais mis en tête de le retrouver, elle m’a simplement mise en garde : Chloé, ma petite fille, tu n’auras que tes yeux pour pleurer lorsque tu comprendras que j’avais raison. Au diable les mises en garde, j’ai passé de longs mois à le chercher, acte de naissance, livret de famille, heures interminables passées à attendre à la préfecture pour poser une question, tout a été fait, et j’ai fini par le retrouver et prendre contact avec lui. Impatiente, excitée et nerveuse à l’idée d’aller prendre un café avec mon père, je suis finalement tombée de très haut. Adrienne n’av ait rien exagéré : arrogant, imbu de lui-même, qui baigne dans le luxe et l’opulence, sans conscience morale, sans rien. Sa vie professionnelle est un succès et il mène une vie merveilleuse dans le 16ème, enchaînant conquêtes et prostituées, malgré un mariage à une poupée blondasse et deux enfants aussi désabusés que lui. Il ne m’a pas demandé comment j’allais, ce que j’avais fait de ma vie, mon passé, mon présent, mon avenir. Pendant une heure, il n’y a eu que très peu de mots échangés. A la fin, il a ouvert la bouche pour me dire qu’il ne souhaitait pas que je le recontacte, car a priori, j’étais moi aussi une enfant non-désirée, issue d’une tromperie éphémère. A la place, pour compenser plus de vingt ans d’absence, et pour s’assurer que je ne dirais pas un mot à qui que ce soit, il a fait en sorte que je reçoive assez d’argent pour vivre décemment jusqu’à la fin de mes jours. Chaque semaine, un nouveau chèque à plusieurs zéros. Il m’a fallu plusieurs semaines pour voir la vérité en face, mon père est un gros con, ma mère n’a aucun instinct maternel et les seules personnes de mon entourage familial sont ma grand-mère et mon grand-père qui malgré leur aspect rigide et très tradi, ont fait de moi une enfant heureuse de vivre, chaleureuse malgré son mauvais caractère. Si au début je refusais que mon père me donne de l’argent, j’ai finalement décidé d’accepter. Ce qui m’a permis d’offrir un nouvel appartement à mes grands parents, puisque le leur allait devenir un hôtel et qu’ils se faisaient gentiment renvoyer de chez eux, ainsi que de louer moi-même mon propre appartement, plus près de la Sorbonne, dans le quartier latin. Rien de très luxueux, un 50 mètres carrés, à mon goût, qui me correspond tout à fait, et chaque semaine, un sourire triste s’affiche sur mon visage, lorsque je reçois le chèque d’un père qui ne veut pas de moi. J’ai gardé mes valeurs, mes principes, mais oui, autant d’argent d’un coup, régulièrement, fait de moi une nouvelle riche, et dans ce monde de requins, il n’est pas dit que je n’y perde pas mon âme.

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